Intervention au congrès Croix Marine du 01 Décembre 2015 :
Laurent Cochonneau (psychologue du pôle de psychiatrie générale de Saint-Lô, formé à la thérapie familiale systémique) et Sophie Ryckeboer (excusée)
Il ne va pas de soi d’entretenir de bonnes relations entre familles de patients et soignants.
Pour le comprendre, il faut revenir sur l’histoire de notre discipline.
Classiquement on situe la naissance de la psychiatrie au moment de la révolution française. A cette époque, le fou devient un citoyen au même titre que tout un chacun.
L’émergence de la psychiatrie s’appuie sur deux figures de proue: Philippe Pinel le bienfaiteur qui a libéré les aliénés de leurs chaînes, puis à sa suite son élève et successeur Jean-Etienne Esquirol.
Sous leur impulsion le «fou» devient un sujet détenant une part de raison. Philippe Pinel est indissociable de son fidèle surveillant Jean-Baptiste Pussin considéré comme le père spirituel de l’infirmier en psychiatrie. Pinel fait de la maladie psychique un problème d’entendement, Esquirol y ajoute les passions comme principaux symptômes de l’aliénation.
Ce dernier fait parti des inspirateurs de la Loi du 30 juin 1838, qui organise l’hospitalisation dans les établissements publics et privés ainsi que la protection des malades et de leurs biens. Elle induit de grands principes tels que :
– des conditions d’accueil décentes
– la mise en place de mesures de protections sociales
– la réglementation sur les circonstances de placements de patients en vue d’éviter les abus
– la fin des pratiques « barbares » réservées aux aliénés en vue de les soigner
Cette Loi ne sera remplacée que par celle du 27 juin 1990.
En 1902, Herr Kraepelin identifie deux importantes formes de troubles psychiatriques dont il estime qu’elles ont une origine génétique, alors même qu’il n’existe aucune théorie scientifique ou connaissance sérieuse sur l’hérédité.
A partir de 1937, le terme d’asile disparaît au profit de l’hôpital psychiatrique, mais le malade psychiatrique ne remplace l’aliéné qu’en 1958.
Ce n’est qu’à partir de la fin du XIXème siècle qu’apparaissent les psychothérapies.
Avant que les patients n’accèdent à un véritable statut de sujet et que l’idée de les soigner n’intervienne, la société est plutôt indifférente au sort des familles situées en arrière plan du malade.
L’opinion des premiers aliénistes n’est guère favorable aux familles. Pinel exprime une opinion assez partagée pour son époque, je le cite: «il est si doux en général pour un malade d’être au sein de sa famille et d’y recevoir les soins et la consolation d’une amitié tendre et compatissante, que j’énonce avec peine une vérité triste mais constatée par l’expérience la plus répétée, la nécessité absolue de confier les aliénés à des mains étrangères et de les isoler de leurs parents».
Jean-Martin Charcot prend encore moins de gants en affirmant: «Il faut séparer les enfants des adultes, de leur père et mère, dont l’influence, l’expérience le démontre, est particulièrement pernicieuse».
A la suite, la plupart des théories énoncent que la famille du patient joue un rôle dans le maintien du symptôme.
Ainsi, dans l’introduction à la psychanalyse Sigmund Freud évoque les rapports avec l’entourage du patient dans ces termes: «En ce qui concerne la famille du patient, il est impossible de lui faire entendre raison et de la décider à se tenir à l’écart de toute l’affaire; d’autre part, on ne doit jamais pratiquer une entente avec elle, car on court alors le danger de perdre la confiance du malade qui exige, et avec raison d’ailleurs, que l’homme auquel il se confie prenne toujours et dans toutes les occasions son parti.»
Jacques Lacan développe l’idée d’une psychopathologie particulière à thème familial. Dans son texte sur les complexes familiaux dans la formation de l’individu, il écrit : « Les complexes familiaux remplissent dans les psychoses une fonction formelle : thèmes familiaux qui prévalent dans les délires pour leur conformité avec l’arrêt que les psychoses constituent dans le moi et dans la réalité ; dans les névroses, les complexes remplissent une fonction causale : incidences et constellations familiales qui déterminent les symptômes et les structures, selon lesquels les névroses divisent, introvertissent ou invertissent la personnalité. »
Les chercheurs en systémie eux vont reprendre l’idée de Freud selon laquelle les proches n’ont pas toujours intérêt à ce que le porteur du symptôme modifie sa façon d’être, à travers le concept d’homéostasie familiale, autrement dit de résistance au changement. Ils vont même pour certains définir une typologie des modèles familiaux qui prédisposent à l’apparition de symptômes, c’est le cas par exemple de Salvador Minuchin ou de Mara Selvini. En 1956, Gregory Bateson croit découvrir l’étiologie de la schizophrénie à travers le concept de double contrainte.
Les choses vont donc jusqu’à imputer une certaine responsabilité de la famille dans la maladie de leur proche. Difficile dans ces conditions d’espérer trouver un terrain d’entente avec elle.
Ce qu’il faut comprendre c’est que la résistance au changement n’est pas propre aux malades psychiques ou aux systèmes familiaux défaillants, elle existe chez tout le monde. Nous sommes tous attachés à notre névrose, et il n’existe pas de ligne de démarcation séparant les soignants des soignés sur ce plan.
Concernant la famille la chose est ambiguë, car elle souhaite être débarrassée d’un problème sans que son identité soit inquiétée. Autrement formulé, elle veut changer sans changer. C’est ce que Mony Elkaïm nomme une double contrainte réciproque.
Comme le dit Philippe Caillé, dans ce jeu complexe l’exercice consiste, pour le soignant, à définir la spécificité du système demandeur et les contenus de sa sur-logique d’appartenance pour pouvoir s’attaquer au problème posé. Il s’agit d’un processus de recherche interactive entre sytème traitant et système traité.
Mais, ce qui sans doute rend bien plus difficiles les relations soignant/famille, relève probablement plus de la façon dont nous aménageons nos rapports avec le fantasme de guérison. Là encore, il s’agit de quelque chose de très partagé.
Lorsque Jacques Lacan parle de «guérison qui intervient de surcroît», il faut y entendre que l’on diffère le moment de la guérison et non pas qu’on y renonce. La plupart des soignants se battent pour la guérison avant de se battre pour faire reconnaître et respecter le patient dans sa dimension psychique, c’est là une affaire de psychologue.
Pourquoi se considérer alors en chiens de faïence puisque nous partageons ce même fantasme de guérison du patient/parent?
Mais parce que nous échouons à le réaliser et qu’il faut bien un responsable à notre échec. Il n’est pas plus acceptable de se sentir de mauvais soignants que de se sentir de mauvais parents.
Nous souhaitons, de part et d’autre, offrir la meilleure vie qui soit. Mais souvent l’impuissance accable, la culpabilité ronge, lorsqu’il faut se résigner parfois à simplement prendre soin sans parvenir à guérir.
La logique voudrait que notre agressivité s’exerce sur le patient qui dans ce cas est l’agent de la frustration ressentie, mais alors quel parent ou quel soignant serions-nous pour lui?
Non, la plupart du temps, nous préférons entrer en alliance avec lui contre l’autre partie dont nous partageons pourtant les objectifs (la famille ou le soignant selon le côté où l’on se range).
Ce petit panel de relations entre familles et soignants peut paraître daté, mais si la société a bien changé depuis, et que la psychiatrie même, est bien différente de ce qu’elle était à son origine (découverte des neuroleptiques – Chlorpromazine par Pierre Deniker, en 1952 ; découverte des antidépresseurs – Imipramine par Roland Kuhn, en 1957 ; création de la politique de sectorisation en mars 1960), ces relations restent compliquées.
Quel problème se pose lorsque la famille et les soignants simplement s’ignorent?
Nos actions correctives peuvent s’annuler entre elles du fait du manque de concertation.
Notre crédibilité peut être émoussée par la mauvaise image renvoyée d’un côté ou de l’autre de la barrière.
Le patient peut se sentir écartelé par des enjeux de loyauté qui le lie à ceux qui prennent soin de lui.
Nous pouvons aussi passer à côté du problème.
Pendant des années, j’ai animé des groupes de paroles dans un service hospitalier accueillant des patients dits sub-aigus, fréquemment je faisais le même constat que des patients revenaient dans un contexte de crise familiale ne se réglant pas et ce en nous tenant les mêmes propos à chaque fois. Le plus souvent c’est parce qu’ils ne souhaitaient voir personne durant l’hospitalisation que la situation demeurait inchangée.
C’est là un point important, il faut bien comprendre que depuis longtemps les évolutions successives de notre système de santé ont portées sur le statut du patient. Hors, le patient est le seul élément de jonction entre le soignant et la famille. S’il s’oppose à un quelconque travail avec la famille, le soignant ne peut que tenter de le sensibiliser à l’importance de ce travail. Mais l’alliance nécessaire avec le patient rend la chose mal aisée.
Les doits du patient ont progressé en matière de possible intégration de la famille à différents niveaux de sa prise en charge, mais il possède aussi le droit de la tenir à l’écart. Les exceptions ne portent que sur des mineurs ou des majeurs protégés, et des personnes en incapacité d’exprimer leur volonté.
Si les relations entre la famille du patient et les soignants sont souvent difficiles, les relations entre un patient et sa famille ne sont pas toujours simples non plus. Rappelons-nous André Gide et sa célèbre formule « Familles, je vous hais ! ». Lorsque les familles sont acculées à servir de tiers pour que leur proche soit hospitalisé en situation d’urgence sans qu’il soit en capacité d’y consentir, lorsque pour défendre ses intérêts, ils font la demande d’une mesure de protection de type tutelle ou curatelle, il ne faut guère se faire d’illusions, les relations s’en ressentent.
Alors vers quoi faut-il tendre?
L’alliance thérapeutique est ce qui offre la meilleure chance à tous les partis.
Sur quoi pouvons-nous nous appuyer pour y parvenir ?
D’abord, sur un principe simple: comme il existe une présomption d’innocence, il devrait exister une présomption de normotypie de la famille.
Il nous faut penser la famille comme une ressource, pas comme un obstacle.
Et sur ce plan, nous en venons à évoquer le travail de Guy Ausloos, psychiatre qui enseigne à l’université de Montréal, spécialisé dans la prise en charge des adolescents.
Dans son livre sur la compétence des familles, tout en s’appuyant sur des typologies de transactions familiales dont je parlais précédemment, il souligne bien cette nécessité du travail en coopération avec la famille.
Il définit deux postulats :
a) le postulat de la compétence :
« Une famille ne peut se poser que des problèmes qu’elle est capable de résoudre »
b) le postulat de l’information pertinente
« L’information pertinente est celle qui vient de la famille et y retourne »
Face au reproche souvent fait à la famille de non-collaboration ou de résistance au changement, il explique que les familles ont souvent multiplié les rencontres avec les professionnels et quelles n’ont pas toujours été des plus plaisantes. Aussi, nous avons à faire à des écorchés vifs en état de légitime défense.
Comment modifier nos rapports avec la famille?
Il faut commencer par modifier nos représentations souvent négatives qui empêchent la mise place d’un travail en partenariat. Il faut bien considérer que nous sommes formés à repérer ce qui dysfonctionne. Et sans même nous en apercevoir nous agressons les familles. Cela étant les familles fonctionnent dans le même registre, car lorsque nous proposons une approche positive au patient, il nous est reproché de nier les problèmes et de l’entretenir dans le déni de sa réalité avec force d’arguments pour nous convaincre qu’il souffre de graves troubles.
De son côté, le soignant en les convoquant pour leur demander de changer pour le bien de leur proche, montre bien ou il situe le problème. Il y a là un sous-entendu de culpabilité implicite de la famille. Il ne faut plus voir dans la famille la coupable à tous les maux, car ce sont nos projections qui la définissent ainsi; telle que nous nous représentons la réalité nous la faisons exister.
Nos grilles de lecture enferment les individus dans leurs travers, et nous retraduisons la réalité en termes psychopathologiques avec un vocabulaire choisi : le père peut être absent, alcoolique, contrôlant, violent…, la mère hyper protectrice, fusionnelle, envahissante, castratrice…
Guy Ausloos nous invite à considérer simplement que nous avons à faire à des parents qui font ce qu’ils peuvent. Pour lui, il faut changer de paradigme.
Traditionnellement, nous raisonnons en terme de faute qui conduit à de la culpabilité. L’issue à la culpabilité ressentie étant l’aveu qui conduira à l’absolution. Il s’agit de fondamentaux de la culture judéo-chrétienne. Michel Foucault parlait de la psychothérapie comme d’un nouveau modèle de confession.
L’idée est de remplacer ce schéma pour un modèle où la compétence amène à la responsabilité, et où l’information conduit à l’auto-solution.
Le travail du soignant consiste alors largement à faire remonter de l’information utile et à la faire circuler dans le système familial.
C’est en partant des travaux de Guy ausloos que la psychologue Edith Tilmans-Ostyn développe un modèle d’espace thérapeutique partant des expériences déjà menées par la famille. Car il faut bien considérer qu’avant d’entrer en contact avec les services de psychiatrie les familles ont souffert pendant des années sans pouvoir en parler, sans comprendre ce qui se passait mais en s’efforçant de trouver des solutions aux problèmes qui se posaient.
Dans ce modèle d’intervention donc, c’est la famille qui détermine si les propositions des soignants dans la relation d’aide sont pertinentes. Les familles détiennent des compétences et des savoirs nécessaires qui s’appuient sur une longue observation des manifestations de la maladie dans la vie quotidienne et en dehors des structures de soin.
Il faut inviter la famille à nous aider à aider le patient.
Pour obtenir un résultat, il s’agit d’aller à la rencontre de ces familles. Par ailleurs, le fait d’intégrer la famille enrichit considérablement le contenu et rend plus vivants les échanges. Cela permet au patient de constater l’intérêt que ses proches portent à ses soins.
Une famille est un système avec un équilibre, une communication, des frontières, des valeurs, une histoire, qui lui sont propres. Elle chemine au gré de ce que l’on nomme les cycles de vie (la rencontre, l’union, les naissances, le départ des enfants, la retraite, etc.), et subit des évènements variés (la séparation, le deuil, le chômage, la maladie, etc.).
Il faut s’imprégner de la dynamique propre de la famille et repérer ce qui peut l’amener à coopérer.
C’est une nécessité dans les prises en charge psychothérapeutiques de famille, mais pas seulement dans ce cadre, car la plupart des familles de patients ne s’engagent pas dans un travail de psychothérapie familiale. D’ailleurs, il serait préférable d’utiliser l’expression de Maurizio Andolfi de thérapie avec la famille qui souligne l’aspect de coopération, plutôt que d’utiliser le terme de thérapie de la famille qui souligne la source pathologique.
C’est là où elle passe et au moment où elle passe qu’il faut engager un travail avec la famille. C’est souvent au décours d’une hospitalisation du proche que nous allons mobiliser les ressources familiales, c’est à ce moment qu’il faut expliquer le parcours de soin, son utilité, à ce moment qu’il faut entendre le vécu de chacun, donner l’information utile.
Je souhaite illustrer cette intention particulière par une petite vignette clinique.
Je dois expliquer avant que j’interviens notamment à la demande dans un service d’accueil de l’hôpital psychiatrique. Les patients s’y rendent pour que leur état psychique soit évalué, ils sont ensuite orientés en fonction de cette évaluation.
Donc, ce jour je suis appelé pour la patiente que nous appellerons « Martine ».
Il s’agit d’une femme de 49 ans qui souffre d’une dissociation psychique avec des mouvements d’angoisse massifs. Elle peut se présenter par le biais de ses défenses psychiques hystériques, elle devient alors une petite fille immature au caractère irascible.
On note aussi des éléments de dysmorphophobie sur fond de clivage important, avec une moitié belle et une moitié laide, une moitié bien portante et une moitié malade, une moitié féminine et une moitié masculine.
Nous l’accueillons très fréquemment depuis le suicide d’un frère en 2008, auquel le décès du père viendra faire écho en 2012.
La maman de Martine est très présente et représente son meilleur soutien.
Mais ce jour, c’est accompagnée de ses deux frères et d’un cousin qu’elle arrive dans le service. La maman vient de décéder d’un tragique accident de la voie publique en se rendant chez Martine qui n’avait pas voulu faire le déplacement jusque chez elle.
Martine oscille entre une angoisse massive qui la fait paraître en état de choc et un discours logorrhéique, son humeur est particulièrement labile.
Lorsque je la reçoit avec ses frères elle se positionne en petite fille. Le désarroi des frères est considérable, ils ont quantité de choses à régler du fait du décès de leur mère et ne savent pas quelle position tenir à l’égard de Martine. Ils sont à la fois inquiets concernant son état psychique mais aussi inquiets à propos des réactions qu’elle pourrait avoir.
J’amène chacun à exprimer ses besoins du moment et nous réfléchissons à la façon dont les choses peuvent s’organiser.
Les frères expliquent les démarches à entreprendre, les rendez-vous auxquels ils doivent se rendre. Martine nous montre le joli papier sur lequel elle souhaite rédiger des poèmes pour sa maman, elle tient à les glisser dans le cercueil. Chacun tombe d’accord sur le principe d’une hospitalisation de Martine jusqu’à la date de la mise en bière. Martine est consciente d’avoir besoin d’être protégée durant cette période et les frères ont besoin d’être libérés pour régler certaines formalités.
Au final, Martine sortira pour assister à l’enterrement car l’état du corps ne le rendait pas visible et la famille ne pourra pas assister à la mise en bière. Elle adoptera un comportement plutôt adapté au moment des obsèques et chacun pourra vivre l’évènement sans être trop parasité. Martine passera ensuite un peu de temps en psychiatrie, afin de retrouver un équilibre satisfaisant.
C’est vers ce type de rencontres que nous souhaitons aller. Nous devons partir des besoins de la famille et faire circuler l’information pour trouver les réponses les meilleures.
Trop souvent nous sollicitons les familles pour obtenir les informations qui nous intéressent sans accueillir spécialement leur ressenti, nous leur proposons de s’inscrire dans des dispositifs pré-établis quand certains le peuvent mais d’autres pas, et nous ne nous rendons pas suffisamment disponibles au moment où elles en ont besoin.
A ce propos, il peut apparaître utile de préciser les besoins de chaque partenaire :
Le patient :
Comme tout individu il a des besoins fondamentaux (manger, boire, respirer, dormir, être vêtu, etc.). Il a aussi des besoins « secondaires » (la protection, la sécurité, l’appartenance, l’affection, l’estime de soi, le respect, le sentiment de se réaliser). Certaines réponses aux besoins sont essentiels pour le malade (la reconnaissance, la considération, l’écoute, la compréhension, la proximité).
Le soignant :
Par définition, il prend soin. Il a besoin de se sentir utile, d’être reconnu, valorisé, estimé. Pour pouvoir travailler, il a besoin de trouver un bon équilibre, et de ce fait doit bénéficier de soutien et d’écoute.
Le proche :
Son besoin premier est d’être aidant, pour cela il a besoin qu’on lui fasse une place, il a besoin d’informations claires concernant le patient, il a besoin d’être soutenu, aidé, accompagné, rassuré. Il a besoin aussi parfois de pouvoir « souffler » un peu.
Les premières études concernant l’impact pour une famille de la présence d’un malade psychiatrique au quotidien datent des années 1960 avec l’apparition du concept de lourde charge de soins. Deux axes sont définis : avec d’un côté les aspects subjectifs, tels que le ressentiment, la sensation d’être dépassé ou emprisonné dans une situation ; et d’un autre côté les aspects objectifs, comme les pertes financières, la routine quotidienne, l’absence de vie sociale, ou les besoins de surveillance et de contrôle du proche. (travaux de Hoenig et Hamilton – 1966). Ces travaux mèneront à terme à des programmes d’intervention familiale basés sur « l’alliance thérapeutique ». Des programmes psycho-éducatifs vont se développer avec un certain succès sans qu’il soit évident de déterminer les éléments spécifiques ayant un effet positif. Ces dispositifs se développent aujourd’hui dans les hôpitaux psychiatriques sous le terme « d’éducation thérapeutique ».
Dans cet effort de comprendre les relations entre soignants et famille je souhaite souligner la tentative de classification, du point de vu soignant, établie par le Docteur Yann Hodé, Psychiatre à Strasbourg, qui relève trois types de réactions des soignants face aux familles. Il observe :
– des équipes réticentes, voire opposées à rencontrer les familles ; qui veulent éviter l’interférence d’un tiers qui pourrait fragiliser l’alliance thérapeutique avec le patient ou créer des problèmes délicats liés au secret médical
– ensuite, des équipes favorables mais qui, dans la pratique, n’intègrent que les familles activement demandeuses
– enfin, des équipes favorables mais qui les intègrent d’une façon inadaptée, exigeant de la famille des changements ou une implication qu’elle ne souhaite peut être pas (j’ajouterais aussi des changements dont elle se sent peut-être incapable)
C’est conscients de cette difficulté que nous avons déposé un projet commun aux services d’addictologie et de psychiatrie générale afin d’élargir nos missions auprès des familles, pour ne plus se limiter au cadre stricte des thérapies familiales, mais pour pouvoir intervenir en soutien des équipes dans le cadre du travail avec les familles. Il s’agit de proposer un cadre tel que proposé par Edith Tilmans-Ostyn, et qu’elle nomme séance de consultance. En fait, il s’agit de faciliter l’émergence de nouvelles perspectives mobilisatrices d’évolution dans les relations familiales. L’idée consiste avant tout à aider les équipes face à un problème rencontré avec une famille et non pas à les supplanter, ou à prendre le relai de cette équipe.
Le contexte global de manque de moyens dans les hôpitaux psychiatriques ne facilite pas les choses mais l’enjeu d’évolution des rapports entre soignants et familles ne peut pas être négligé. La loi du 4 mars 2002 complétée par celle du 9 août 2004 a concrétisé la place et le rôle institutionnel des associations d’usagers. Parallèlement, l’Organisation Mondiale de la Santé invitait les pays à rendre les usagers, les malades, les familles et plus largement la communauté, acteurs du système de santé.
Il faut bien intégrer qu’aujourd’hui l’hôpital psychiatrique ne représente plus une solution durable, le virage de l’ambulatoire (autre façon de parler de la fermeture des lits de psychiatrie), l’insuffisance d’hébergement thérapeutique et de dispositifs de réhabilitation psychosociale, font que la famille reste la valeur refuge bon gré ou mal gré pour beaucoup de nos patients.
Quid d’un projet d’autonomisation qui ne serait pas envisagé avec la famille ? Les projets définis dans les services de soins doivent être réalisés en concertation avec l’environnement du patient, sans quoi l’échec est à peu près certain.
Je conclurai en signalant que le rôle joué par la famille ou par les soignants a souvent été surévalué et rarement pour en dire du bien. La trajectoire psychiatrique d’une personne est complexe, elle tient certes de la famille mais aussi de l’ensemble des professionnels intervenants, des amis, du voisinage, du groupe communautaire, etc. J’espère que nous parviendrons à l’avenir à faire du lien et à mieux nous ajuster au vécu des familles, en partant de là où elles sont, et cela pour mieux soigner nos patients, sans y perdre notre spécificité.