Jean François GOLSE
PONTORSON : mars 2011
Rencontre sur le thème : l
Candide et l’éducation thérapeutique
Dr Jean François GOLSE
Je dois à l’amicale insistance de mes collègues Pascal FAIVRE et Marc SIMONET d’intervenir lors de cette journée Croix Marine et même d’ouvrir les débats. Ce qui n’est pas facile et d’autant moins facile que je ne connais absolument rien à la question qu’il m’a été demandé de traiter.
Il est vrai qu’en première analyse, on peut s’étonner de voir l’association Croix Marine de Basse-Normandie s’attaquer à un sujet qui peut paraitre à première vue périphérique à ses préoccupations habituelles. Mais l’inscription de ce sujet dans les préoccupations prioritaires du SROSS vient modifier la donne. Croix Marine ne peut pas rester éloignée des sujets d’actualité et doit faire entendre sa voix, sa musique particulière, dirais-je, et cela d’autant plus qu’il s’agit d’un sujet qui, sur le fond, est fort intéressant. C’est peut être pour que cette voix soit entendue que je me retrouve ainsi placé en première ligne. Cela dit, je n’ai pas la prétention de représenter quiconque d’autre que moi-même dans cette affaire.
Mais que suis-je donc allé faire de cette galère, me répétais-je, en me promettant d’étudier la question de l’éducation thérapeutique dans une sorte de rechute, à mon âge, du syndrome du bon élève. Heureusement, avant de m’y mettre sérieusement, il m’est venu l’idée suivante : et si justement c’était parce que je n’y connaissais rien que l’on m’avait demandé d’intervenir. Il ne s’agissait plus alors que de me prévaloir de mon expérience d’un exercice de plus de trente ans de la psychiatrie. Sitôt pensé, sitôt adopté, d’où le titre de ce bref exposé : Candide et l’éducation thérapeutique.
Cet exposé fort simple se composera de trois parties : Ce que je fais, ce que j’espère, ce que je crains.
I- Ce que je fais
Je vais tout d’abord assumer un lieu commun : je fais de l’éducation thérapeutique comme monsieur JOURDAIN faisait de la prose sans le savoir, à la différence qu’avec les années je sais de mieux en mieux que je fais, malgré tout, de l’éducation thérapeutique et ma pratique a beaucoup évolué au fil du temps. Nous n’étions pas formés au temps de mes études, c’est bien loin tout ça comme disait le regretté Alphonse ALLAIS, à transmettre une partie de nos connaissances aux patients que nous devions soigner.
C’est peu à peu que j’ai pris conscience de l’utilité de former un patient à sa maladie. L’éducation thérapeutique, c’est pour moi une formation à la connaissance de la maladie, le médicament n’étant qu’un des aspects de cette connaissance ; le mot éducation à la maladie me semblerait d’ailleurs plus précis que celui d’éducation thérapeutique qui laisse planer une ambiguïté (une éducation peut-elle être « thérapeutique » ?). Mais il se peut que je fasse un contre-sens par rapport au sens où est employé le mot éducation ; je suis sûr d’avoir le français avec moi dans cette affaire mais pas forcément l’usage décalé du français technocratique moderne.
J’aime bien le mot connaissance qui renvoie à une véritable appropriation de ce qui est transmis. On sent bien que cela n’a rien à voir avec la simple information transmise de façon ponctuelle par exemple par un chirurgien avant une opération. Il s’agit là d’une information de surface dont la finalité majeure, somme toute, est de protéger le praticien du risque de poursuite judiciaire.
L’éducation thérapeutique, au contraire, a pour fonction d’amener un patient à bien connaitre sa maladie et ainsi mieux se soigner puisque, in fine, le soin vient de soi-même. Je rappelle la célèbre formule d’Ambroise PARE : je l’ai pansé, Dieu l’a guéri, que l’on pourrait moderniser de la façon suivante je l’ai soigné, (ou pensé pourrait-on même parfois écrire), il a guéri. La connaissance de la maladie, de son évolution, de ses aléas, de ses modalités de traitement par le malade permet au couple soignant-patient de gagner en efficacité et en humanité.
Au fil du temps, j’ai donc accordé une importance croissante à cette éducation thérapeutique au sens ou je l’entends. Une des difficultés majeure étant de transmettre des notions assimilables par le patient et à ce point de vue, j’ai toujours considéré qu’une bonne métaphore valait mieux qu’un long discours. C’est ainsi que je me suis construit au fil du temps toute une panoplie de métaphores qui m’ont grandement aidées. J’ai bien pensé vous en livrer quelques une pour leur pittoresque et leur efficacité mais après quelques tentatives d’écriture, il m’a bien fallu me rendre à l’évidence, ces images ne résistent pas au passage à l’écriture où elles perdent de leur force ; elles relèvent en fait de l’art du conteur. Je préciserais cependant plusieurs points importants :
• Ces métaphores doivent demeurer vivantes et investies par le médecin, il ne faut pas hésiter à trouver de nouvelles formules lorsque l’on a l’impression de se répéter et que l’on sent que notre propos va se dévitalisant ; il faut veiller à rester créatif.
• Ces métaphores viennent étayer, pimenter, fleurir, dirai-je même, un discours construit
• Ce discours et ces métaphores s’inscrivent dans une relation thérapeutique qui s’est construite et installée dans le temps entre un patient et un soignant dans le cadre d’un lien transférentiel.
• Ces interventions sur la maladie surviennent au moment opportun, à petites touches. Il ne sert à rien de dire ce que le patient n’est pas prêt à entendre mais il ne faut pas non plus être en retard sur le patient. Racamier ne disait-il pas qu’il fallait se tenir à la pointe des possibilités du patient ? Le rythme et l’importance des éléments transmis, la manière de les transmettre varient selon le niveau socio-culturel du patient mais aussi selon la nature et l’évolution de sa maladie.
• Chacun comprendra, en effet, qu’en ce qui concerne l’éducation thérapeutique, les choses sont très différentes selon que l’on a affaire à un état dépressif isolé, à un trouble bipolaire, à une schizophrénie ou à toute autre maladie.
II- Ce que j’espère
L’éducation thérapeutique, au sens où je l’ai définie, est un facteur important de l’amélioration de la qualité des soins (de la qualité de fond et pas de cette qualité de façade générée par la certification) et je souhaite qu’elle puisse être généralisée à l’ensemble de nos patients.
Pour ce faire, il existe une méthode simple : se mettre d’accord entre professionnels et usagers, pathologie par pathologie, sur ce qu’il est utile, voire indispensable, qu’un patient connaisse de sa pathologie.
Utile ou indispensable, à vrai dire j’hésite entre les deux termes ; mon souci étant que ce socle de connaissances soit suffisamment étoffé pour que cela ait du sens mais aussi suffisamment simple pour être transmissible. Le noyau de l’indispensable peut s’étoffer de l’utile mais ne doit pas s’encombrer de superflu qui nuirait à l’équilibre et l’efficacité de l’ensemble.
Une fois établi ce contenu de la connaissance utile, sous une forme suffisamment modeste je le répète, reste la question de la transmission de cette connaissance. Qui peut ou doit s’en charger ?
Il me semble évident que cela relève du rôle soignant et, en premier lieu, du psychiatre et/ou de l’infirmier référent en charge des patients. Nous l’avons vu plus haut, cette pédagogie de la maladie doit s’inscrire dans une relation investie ; elle doit arriver à son heure au fil des entretiens et selon les possibilités ou les nécessités du moment. Mais il peut être aussi utile et fort intéressant pour certaines pathologies au long cours, je pense par exemple aux troubles bipolaires, d’avoir recours à des techniques de groupe qui permettent de mieux s’approprier les connaissances dans une dynamique d’expériences partagées. Cette technique de groupe vient dans mon esprit s’ajouter et voire même, d’une certaine façon, renforcer le rôle du soignant référent dans une synergie qui me semble intéressante.
III- Ce que je crains
« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée » disait Descartes. Mais il est peu de monde pour connaitre la seconde partie de la citation qui en modifie complètement le sens : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée car nul n’a coutume d’en désirer plus qu’il n’en a ». L’ironie est mordante.
Et notre gouvernance actuelle, pour employer un mot à la mode, semble en effet, par moments au moins, avoir fait sienne un des célèbres principes de la logique Shadock à savoir : « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ».
Je crains donc en premier lieu que, pour mettre en œuvre cette idée simple et de bon sens de la généralisation utile de l’éducation thérapeutique, l’on ait recours à une usine à gaz peu fonctionnelle et de surcroit couteuse. Et je ne doute pas que mes propositions ne paraissent tout à fait ridicules et simplistes aux yeux de n’importe quel comité d’experts. Le simple parait toujours simpliste aux yeux des idéalistes. Avez-vous d’ailleurs remarqué à quel point nous sommes persécutés par l’idéal ?
Ma seconde crainte est la suivante. Je crains que ne s’instaure une confusion entre ce qui relèverait d’une méthode de soins parmi d’autres à savoir la TCC, ce qui relèverait d’une théorie de la pathologie mentale, pour ne pas dire d’une idéologie, réactualisant les théories organicistes des troubles mentaux soutenue en ce sens par toutes les nouvelles techniques d’imagerie médicale et ce qui relèverait de l’éducation thérapeutique.
Une telle confusion ne peut que nuire à la généralisation de l’éducation thérapeutique et ce serait d’ailleurs un très mauvais service à rendre à l’éducation thérapeutique que d’en faire le cheval de Troie des TCC ou d’une théorie organiciste de la pathologie mentale.
Soit dit en passant, je suis effaré de voir avec quelle imprudence méthodologique, il est devenu banal d’articuler le discours du champ clinique et le discours du champ de l’imagerie médicale, ou de la biologie, avec un glissement permanent d’un réductionnisme méthodologique légitime et nécessaire au progrès des connaissances vers un réductionnisme idéologique pervers.
Je vous invite à lire, relire et relire encore les deux premiers chapitres du livre d’Atlan « à tort et à raison »
CONCLUSION
L’éducation thérapeutique vue sous l’angle du bon sens me semble une avancée importante. Déjà pratiquée à minima par nombre de professionnels, elle doit s’organiser et se structurer pour, à la fois, s’approfondir et se généraliser. Indissociable du soin, elle n’est pas une technique de soins et j’aimerais que l’on restât attentif à cette distinction. J’espère que cette journée dissipera mes craintes, auquel cas pour revenir à mon Candide, « tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes » mais attention là aussi à la flèche du Parthe « dans le meilleur des mondes possibles » précise Voltaire dans un dernier sourire ironique.